«Pas trop cuite, s’il vous plait»: Comment J’ai baguette francaise se ramollit (a cause de nous)

SOCIETE Di?s Que les Americains denoncent la mollesse de des baguettes, ils ne le font gui?re que pour nous enerver.

Francaises, Francais, rien ne va plus: la baguette reste ramollo. Un article du Wall Street Journal denoncant une perte de croustillance des baguettes francaises n’etait malheureusement pas qu’une attaque facile des Americains contre nos Frenchies et leurs pretentions gastronomiques: en boulangeries, la croustillance n’a plus la cote.

Une fracture sociale

«Huit fois sur dix, on me demande une baguette jamais trop cuite», temoigne la vendeuse de la boulangerie Landemaine d’la rue de Clichy, un des dix meilleurs petrins de Paris. Dans une telle boutique pourtant axee dans la specialite, ou J’ai baguette parisienne de base reste vendue 0,95 euro, les clients n’ont d’yeux que Afin de la croute beaucoup blanche. Cela n’est jamais une exception: «Le ramollissement d’une baguette reste malheureusement une realite, commente Remi Heluin, blogueur pain-ssionne et fin observateur d’la vie de la mie. Je le constate partout, le pain reste de moins en moins cuit: environ 20 minutes au lieu de 23 ou 24 necessaires.»

Gontran Cherrier, boulanger vedette parisien, avoue Realiser moins cuire la baguette blanche, «mais pas des traditions, qui doivent etre croustillantes». Deux camps semblent donc se dessiner: les acheteurs de «traditions», plus cheres mais plus gouteuses et mieux cuites, ainsi, les amateurs de baguette blanche. Une veritable fracture sociale, si l’on en juge par les observations de Yosuke, boulanger depuis 5 annees chez Landemaine: «Dans nos diverses boutiques a Paris, on constate que au sein des quartiers de gourmets, on vend moins de baguettes molles». Comprendre les quartiers chics, bobos, bref financierement aises et souvent plus eduques au gout.

Mes autres, habitues a avoir du pain chaud (et donc mou) toute la journee par les enseignes de boulangerie industrielle et les grandes surfaces, se sont accoutumes a votre pain plus sucre, plus moelleux, puis moins digeste et qui se conserve moins bien. Pourtant, l’illusion de i?tre capable de le consommer plus longtemps persiste: ainsi, une dame venue choisir son pain concernant le dejeuner chez Landemaine nous confie preferer la baguette pas trop cuite car «s’il m’en demeure je la passe au grille-pain demain matin». «Si on les rechauffe quelque peu, les baguettes de supermarche ou decongelees sont mangeables et ceci cache le fait qu’elles n’ont ni gout ni consistance», deplore Remi Heluin, auteur du blog Painrisien.

«Bien entendu que ca me fait mal au c?ur de moins cuire!»

De leur cote, les boulangers seront bien obliges de se plier aux attentes de leurs clients. «Ils repondent a une demande et se disent que au sein d’ un contexte tellement concurrentiel, on ne peut gui?re prendre le risque de perdre de la clientele. Donc ils abandonnent l’idee de faire du pain bien cuit», poursuit Remi Heluin. Yosuke nous confie que Afin de lui, «le meilleur pain est bien cuit»: «Bien entendu que ca me fait en gali?re au c?ur de moins cuire, mais ce n’est jamais moi qui mange la baguette!»

Mais d’ou nous vient une telle le desir de machonner du mou? En dehors de l’illusion qu’il se conserve plus, Remi Heluin estime que «nous sommes De surcroi®t et puis habitues a manger quelque chose de mou, de fonctionnel, a ne point faire d’efforts». Il en veut pour preuve le succes croissant du pain de mie, «qu’on degote meme maintenant sans croute!», s’exclame-t-il. D’ailleurs le pain chaud et mou, c’est reconfortant, c’est 1 aliment «doudou» qui console et qui rechauffe le c?ur et l’ame. L’enfant au fond de nous veut de la baguette blanche, comme Afin de nous rappeler le temps ou l’on lechait la cuillere de pate a gateau de maman.

Le probleme, c’est qu’a force de repondre a les desiderata enfantins et a ne pas defendre ce qu’ils estiment etre une vraie bonne baguette, les artisans boulangers «sont en train de scier la branche concernant laquelle ils sont assis», redoute Remi Heluin: «S’ils veulent s’en sortir face au pain industriel, il faut continuer a faire preuve de passion et montrer qu’une belle baguette a du gout, d’une croustillance et un interet gustatif.» C’est aussi une question de fierte nationale.